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Nadoch

Niouzes de la villa dimanches, de ses habitants, de ses visiteurs. Totalement narcissique.

Les valeurs de la République

Publié le 29 Novembre 2020 par Nadine

PhotoService.com

Défense en famille des valeurs de la République

Depuis les crimes de Conflans Sainte-Honorine contre notre collègue d'histoire et géographie, et celui de Nice dans la cathédrale, on entend partout laïcité et valeurs de la République. A toutes les sauces, surtout les plus indigestes.

Tout d'abord j'ai bien écrit crime et non attentat et encore moins attentat djihadiste. C'est à la police et à la justice de déterminer la qualité de ces crimes. Les qualifier d'attentat ou de terrorisme c'est faire croire qu'il y aurait une volonté préalable dans un projet politique d'ampleur. Ou alors on peut prendre le mot terreur dans une autre acception mais à ce moment-là il faudrait l'élargir : les féminicides seraient dans ce cas des actes de terreur. Quand au djihadiste on a du mal à cerner : serait-ce un complot mondial contre la France, type le Spectre dans James Bond (ou l'Antifrance dans Super Dupont) ou le mot poli pour exprimer le racisme ? Mais je m'égare…

Du coup, après nous avoir sucré l'hommage décent que nous devions rendre à notre collègue le 2 novembre, le Recteur nous propose ceci :

A l’occasion du 9 décembre prochain, journée de la laïcité, Monsieur le recteur a décidé de banaliser les cours afin que les équipes pédagogiques puissent prendre le temps de la réflexion, de la formation, de l’échange autour des thématiques de la liberté d’expression, des valeurs de la République, de la citoyenneté.

Entre temps il s'est passé des choses et la rancœur a grossi. Entre temps il y a eu le 2e confinement avec les attestations débiles, les commerces fermés pendant que le commerce en ligne a le droit de prospérer. Il y a eu le protocole sanitaire dans les établissements, notre collège compte près de mille personnes, élèves et personnels cumulés, dans des bâtiments du XVIIIe siècle : on tente d'éviter les brassages mais c'est peine perdue, par contre on s'épuise, les profs nomadisent de salle en salle avec des sacs énormes, et les élèves n'ont plus ni détente ni concentration. La vie scolaire fera mardi prochain sa 3e grève en 3 semaines. Nous ce sera la 2e. En plus de ces conditions de travail déplorables, le budget 2021 de l'éducation nationale prévoit 1800 suppressions de postes. On a juste eu le droit à l'aumône de 300 postes de remplacement  de surveillants qui seraient malades du Covid pour toute l'académie. Mais attention, seulement jusqu'en février !

Et puis il y a eu, ou plutôt cela a continué : les violences policières. Contre les migrants, du moins ceux qui ont pu arriver ici, avec le démontage des camps et l'évacuation musclée de la place de la République, contre aussi un quidam qui avait le tort d'être noir, contre un autre qui s'est retrouvé sodomisé dans un commissariat. Avec des chefs, ministre, préfet, qui couvrent et qui, pour couvrir en appellent… aux valeurs de la République. Le préfet Lallement avait dit à la une manifestante "nous ne sommes pas dans le même camp". Décidément, nous n'avons pas les mêmes valeurs de la République.

Depuis 5 ans, nous avons vécu 3 ans sous le régime de l'état d'urgence. Des lois de restrictions des libertés sont votées… au nom des valeurs de la République.

La liberté ? Avec ou sans attestation ? Avec ou sans le droit de filmer ceux qui cognent ?

L'égalité ? Quand la police traite ceux qu'elle cogne de nègre ? Quand les géants de la vente en ligne peuvent se gaver quand le petit commerce crève ?

La fraternité ? Quand les plus riches payent le moins d'impôts ? Et quand nos impôts servent à sauver des actionnaires pendant que les services publics sont sous dotés et ses agents mal payé ?

 

Alors voici ce que j'ai répondu à ma cheffe d'établissement à la commande valeurs de la République pour la journée du 9 décembre. Les valeurs de la République, je suis allée les défendre dans la rue hier avec une belle pancarte qu'on voit sur la photo en haut de ce post.

Je vais commencer par cette question : a-t-on une commande ou une orientation venue du ministère, du rectorat ou de l’inspection concernant cette demi-journée ? 
Je lis par ailleurs ceci dans le compte-rendu du conseil pédagogique :

Quels objectifs devons-nous nous donner au regard du contexte général et des besoins identifiés au collège ?

  • -  Expliquer les valeurs de la République, socle partagé de la nation : valeurs non négociables

  • -  Explication de la loi de 1905 et la spécificité de la laïcité à la française- la notion de blasphème ?

  • -  La liberté d’expression (jusqu’où peut-on aller ? ; comment sait-on ce qui peut être dit ou pas ; pourquoi les journaux s’autorisent-ils à publier des caricatures ? A-t-on quand même le droit de penser ce qu’on veut ?). Mise en perspective et en contexte au regard de la situation dans le monde 

A vrai dire je n’y vois pas très clair. Est-ce un moment en réaction à l’horrible assassinat de notre collègue (ce à quoi font référence «  blasphème » et « caricatures »)  ou un moment de réflexion, de mise en commun de manière plus large ? je vous donne un exemple : ne penser la laïcité que sous l’angle de la neutralité relieuse est à mon avis réducteur. Ne peut-on réfléchir de manière plus large à construire l’école comme voie d’émancipation et de réduction des inégalités : dans notre collège c’est à mon avis un sujet majeur, plus que celui de l’éventuelle irruption de quelconques fanatiques. 
C’est dans ce sens que je peux comprendre le besoin d’expliquer les « valeurs de la République, socle partagé de la nation » : ces « valeurs de la République » sont-elles intangibles et sacrées ou sont-elles une perpétuelle construction ? Vous avez compris que je suis dans la deuxième hypothèse : c’est en cela que je suis historienne. 
Les valeurs de la République ont supporté le code de l’indigénat, les guerres coloniales, les pleins pouvoirs à Pétain et aujourd’hui certaines lois liberticides et un maintien de l’ordre musclé. Mais c’est toujours la République !
Malgré tout, je crois dans la République comme je crois à l’école publique, gratuite laïque et obligatoire. 
La laïcité n'est pas le combat contre les religions. parce qu'elle garantit le droit de croire ou de ne pas croire, et qu'elle reconnaît la liberté de culte pour tous les cultes (élargissant en cela le concordat de 1801 qui ne reconnaissait que les trois cultes chrétiens et le judaïsme). La laïcité ce n'est pas un concept "mou", une espèce de neutralité élastique qui ne dirait rien du monde, c'est un concept politique, c'est la condition de la démocratie. Parce qu'elle établit l'égalité de tous devant la loi en en renvoyant les croyances religieuses dans la sphère privée, elle fait de la politique le point commun partagé par tous les membres de la communauté nationale. Elle installe définitivement la chose publique dans le monde des hommes, et donc elle crée les conditions réelles de l'existence du débat public. Le ciel n'est l'affaire que de ceux qui y croient, il n'y est pas question d’arguments. 
La Laïcité c’est l’émancipation et donc l’école laïque c’est l’école émancipatrice pour tous. 
Ne peut-on donc profiter de ce moment pour réfléchir ensemble (profs + élèves + autres personnels) à comment construire cette école au sein de notre collège ? Un école inclusive, pour tous, quels que soient les différences de chacun ? Une école tolérante aux croyances, aux opinions et aux différences (y compris sociales) ? 
Ce serait un projet plus large : c’est en gros ce que dit Jaurès dans le texte que nous avons fait lire aux élèves le 2 novembre. 
 
Vous savez par ailleurs que j’ai des opinions assez hétérodoxes sur certains sujets. Je n’ai néanmoins pas très envie d’entamer des débats stériles qui fâcheraient tout le monde sans convaincre personne. 
 
J’espère avoir posé quelques jalons constructifs. Je reste à votre disposition pour toutes questions ou demande de réflexion… et je vous souhaite une bonne fin de dimanche.
 


 

 

 

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